« Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. »

Alexis de Tocqueville

À l’origine vivait sans doute un personnage vêtu de rouge, couleur de l’empereur de Rome et de la souveraineté de Bretagne. Son emblème était le rouge, il chevauchait un animal caparaçonné de rouge, son écu était rouge, sa flamme rouge aussi.

Était-il plutôt roux ? Ou rougeaud ? C’est moins probable. Qui était-il ? Quel rang occupait-il ? De quelle puissance jouissait-il ? À quelle époque vivait-il ? Là se tient l’énigme.

Ruhutum, Ar Ruz ?

La Borderie rapporte, d’après la seconde Vie de saint-Tugdual, rédigée dans le diocèse de Tréguier au XII siècle, que dans des temps particulièrement reculés, vers le VIe siècle, sévissait un ardent et épineux personnage nommé Ruhutum, que l’historien breton, et d’autres avant lui, traduit par Ar Ruz, Le Rouge.

Ce Ruhutum entretenait des rapports très orageux avec le saint tutélaire du diocèse de Tréguier, saint Tugdual. Fidèle lieutenant de Conomor, comte de Poher et régent de la Domnonée de 540 à 555, il résidait alors dans le Pou Castel en un château situé au lieu “Boccidus” et plus régulièrement “Buxidus”, en breton Beuzit, situé à un quart de lieue à l’ouest de la ville de Lanmeur.

Le nom des Le Rouge est un sobriquet devenu patronyme, signe d’une extraction plus grande que leur statut à la fin du Moyen Âge. On est frappé de dénombrer non moins de huit Le Rouge nobles recensés en Trégor lors de la Réformation de 1426. Une telle surabondance de porteurs du nom prouve que l’anoblissement de leur maison est assez ancien pour susciter au moins quatre branches : Ancremel, Guerdavid, La Haye et Bourrouguel.

De toute la Bretagne, très rares sont les familles à présenter une telle quantité de représentants, répartis, qui plus est, sur six paroisses. Ainsi, les Le Rouge plongent leurs racines dans une époque reculée et dans une lignée de rang plus éminent. Dinan ou Trogoff.

Armoiries des Le Rouge

Les armoiries des Le Rouge, se comptent au nombre de six : Ancremel (d’argent fretté de gueules), Guerdavid (d’argent à la fleur de lys de sable surmontée d’une merlette de même, becquée et membrée de gueules), La Haie (idem mais sans bec et sans pattes), Bourrouguel (d’argent à trois châteaux de gueules, avec une variante postérieure: d’or à trois bandes de sable, au franc-canton d’argent à une tour couverte de gueules), Moguérou et Rusunan (d’argent au lion coupé de sable et de gueules, écartelé de Penfentenyo), et Marc’hallac’h (de gueules au sautoir d’argent).

Les armes de la branche de Guerdavid doivent être tenues pour les classiques des Le Rouge, puisqu’elles peuvent être prises en référence par toutes les branches de cette maison.

Terres et seigneuries des Le Rouge

Étant donné le nombre de seigneuries possédées à travers les époques par la maison Le Rouge, nous ne pouvons en faire ici qu’un survol, n’indiquant que les principales, toutes rassemblées sur un rayon de vingt kilomètres autour de Plouigneau :

Ancremel, le Guerdavid, le Bourrouguel, la Haie, Trébriand, Guerroudour, Kerhellou, Roezfaou, le Moguerou, Keranguen, Kermeur, Kerfoen, le Marhallac’h, Penfentenyo, l’Isle, Kersenant, Rusunan, Kerberiou, Kerlastre, Kergueguen, la Touche, l’Herberie, Pratangroac’h, Pontglas, la Lande, la Motte au Vicomte, Gernanton, Kerdanet, Pratelen, Kerangroas, Kerudoret, Kersever, Renteville, Mezedern, Keraël, Maesanhaye, Guernanchastel, Kerhibou, le Cloneuff, Penguindy, Runelegan, Lesvilly, Kerminihy, Penanjun, Lesmoal, le Fauet, Kergoat, Kervilly, Kergoulouarn, Treolen ou encore Lesplouenan.

Terres et seigneuries des Le Rouge

Les Le Rouge du XIIe au XIVe siècles

Il faut citer ici avec prudence trois degrés anciens trouvés dans une généalogie établie au XIXe siècle pour le rameau de Rusunan et dont on ignore la source : Guy Le Rouge aurait souscrit l’assise au comte Geffroy (texte fondateur du partage successoral des fiefs en Bretagne) en 1185 ; il se serait uni à Mathilde de Kerouzéré. De lui serait issu Maurice Le Rouge, que l’on dit cité en 1206, époux de Mahotte de Tournemine. De celui-ci Joseph Le Rouge, conjoint de Marguerite de Quélen.

Le 24 avril 1296, dans des Actes du Saint-Siège concernant les diocèses de Quimper et de Léon, l’évêque de Léon se plaint au pape que l’archevêque de Tours, de passage en Léon, nomme Yvon Ruz (ou peut-être en réalité Yvon Nuz) – né vers 1260 – chantre et archidiacre d’Ac’h, l’ôtant ainsi de tout pouvoir. Le pape accuse réception de cette plainte à l’évêque de Dol.

En remontant un peu dans le temps, à la lecture de notes sérieuses d’un chercheur au XVIIe siècle, une mention indique : “Jehan Le Rouge, fils Jehan, fit une fondation en 1330”. Ce même Jehan semble être cité dans le testament d’Haouise de Lanmeur en 1369, d’après une transcription ancienne portant mention d’un legs.

À ce Jehan né vers 1300, dont le père naquit vers 1270, s’ajoute une Haouise Le Rouge unie à Richard, sire de Kermellec, mère de Gicquel, sire de Kermellec, qui vit le jour vers 1350.

Cette Haouise alias Françoise, indiquée par les papiers de Lobineau dans la généalogie de Kermellec, vint au monde vers 1330, à temps pour être la fille de Jehan.

À la même époque qu’ Haouise, Thomas Le Rouge vit le jour, ainsi que d’autres Le Rouge :

Hervé an Ruz figure dans une montre d’Yvon de Kergorlay pour Charles de Blois à Dinan (comme par hasard) en janvier 1356-57.

Thépaut Le Rouge parut dans une montre de du Guesclin (également ramage de Dinan) en 1370.

Yvon Le Rouge, dans d’autres montres de du Guesclin, à Bourges, à Caen, de juin à octobre 1371.

Rien n’interdit d’imaginer qu’ils puissent avoir été́ trois frères juveigneurs de Thomas, mais rien ne permet de l’affirmer.

La présence de ces Le Rouge dans la montre de du Guesclin milite pour la solidité du statut de ces écuyers : soit ils sont jeunes et fortunés, soit au contraire ils ont une longue et prestigieuse carrière derrière eux.

Thomas Le Rouge, qui épousera Constance du Guermeur du Ponthou, est le premier qui soit documenté. Il l’est dans le plus ancien acte officiel Le Rouge conservé, datant de 1383, que le comte de Rosmorduc qualifia de « papier de famille très rare et très précieux prouvant une noblesse de 500 ans. » Hervé Le Rouge avait un scell propre ce qui justifie qu’il était d’une très ancienne maison ». Par cet acte de 1383, Hervé Le Rouge échange un droit de chefrente à l’hôpital contre des messes ou diverses actions pieuses en faveur du salut de ses parents et de lui-même.

Donation Hervé Le Rouge 1383